Il était encore tôt ce matin , la lumière naissante de l'aube , timide et rose effaçait en douceur les derniers lambeaux de cette nuit glaciale ,sur l'horizon de gros nuages prenaient forme , se poussant , au rythme des bourrasques de vent , quelques flocons serrés les uns contre les autres commençaient à virevolter avec exubérance, ils semblaient pourtant hésiter à descendre , tournoyant tel du duvet de canneton au gré des gifles glacées du mistral , sur le macadam sombre et humide , rongé par de grosses plaques étoilées de givre ils se posaient çà et là , les premiers tels des farfadets disparaissaient au contact du sol , le froid se faisant plus vif les suivants s'installaient escamotant le gris sale des calades ....il neigeait !!!!
Bien au chaud derrière le double vitrage de la cuisine , je regardais avec des yeux d'enfant , mon village devenir tout autre, il semblait en ce moment bien différent du hameau provençal d'hier , il y a quelques jours encore il avait un aspect charmeur avec ses façades gaies et rassurantes aux teintes ocre mélangées de rose léger à l'image d' un baiser volé , les toitures de coutume jaune de Naples ou vermillon usé qui à l 'ordinaire semblaient toujours onduler sous les pluies diluviennes de printemps , se raidissaient ce matin en un silence ouaté sous cette fine couche de blanc , quant aux cyprès de coutume toujours ployés de vert sombre à cet instant devenaient petit à petit couleur cendre , en écartant avec délicatesse leurs rameaux tels des doigts comme pour en happer les maigres flocons , les racines quand à elles bien ancrées au bel été dans des herbes craquantes et rousses flirtaient dorénavant entre des touffes devenues d'un beau gris-bleu grace aux fées gelées
A travers les volutes de ma tasse café se dessinait une belle envie de balade pour fouler cette neige de janvier l'entendre crisser sous mes pas
Mais avant de partir pour tutoyer cette campagne raidie de froid , je programmais le four pour un pain d'épices à la guinness , cuisson que je souhaitais parfaite malgré mon projet de fuite , heureuse à la pensée des effluves rassurantes et sucrées qui m'accueilleraient lorsque dans une heure ou deux , frigorifiée je rentrerai à la maison
Rapidement emmitouflée de mon vieil et difforme pull irlandais , d'une écharpe rouge aussi longue qu'une chaîne d'arpenteur ,le tout complété par mes vieilles bottines noires , j 'empruntais ainsi attifée la Courrejho , calade bordée dans ses premiers mètres de maisons fort belles, rendues austères par le froid de janvier puis avec nonchalance elle s'étire en une petite côte qui semble dissuasive pour le promeneur du dimanche , certes , un peu raide de prime abord mais ensuite en bonne fille elle vous offre la clef pour une évasion réussie vers un maquis sauvage qui sans crier gare vous saute au visage ,tel un amant avide d'amour , de ces entrailles aujourd'hui devenues blanches on embrasse d 'un regard admiratif ,les collines bleutées qui enserre ce paysage du Luberon
Dire qu'il faisait froid n'était pas mensonge ,mais ce petit désagrément se désintégrait au fil des traces laissées dans la neige , tout n'était que silence ,les vignes dénudées semblaient grelotter de froid ,les feuilles rousses restées accrochées aux chênes s'agitaient dans un bruit sec de papier froissé ,les olives fripées par le gel et oubliées sur le sol se faisaient étrangement présentes sur la neige , les flocons devenaient plus piquants ,en fermant les yeux on les entendait tomber sur le sol gelé telles des aiguilles de verre , au loin un son de carillon ,je pensais sur l'instant comme réveillée en sursaut à l'horloge du village , je comptais , un , deux , trois , quatre , cinq ...puis oubliais cette cloche qui égrenait au gré du vent les heures passées , celles qui rythment tel un métronome notre vie de tous les jours ..... la fuite du temps s'imposait brutalement à moi tout aussi coupant que la réalité du froid qui me rougissait les doigts ,ou de cette neige fine qui soulignait tout sur son passage tel un peintre barbouillant avec passion sa toile , le temps .....la cruelle réalité du temps qui passe sur tout en se souciant de rien ...
Le mistral se lève plus froid encore qu'au lever du jour , la température s'affiche fièrement en dessous de zéro quand au ressenti il est lui aussi en chute libre , mon APN , plus frigorifié que moi se refuse à tout autres prises de vue ...sans doute est-ce le signal pour quitter ces chemins creux ou tout n'est plus que silence ...... la neige redouble ..au loin le village apparaît avec ses blanches toitures coiffées à la diable de cheminées poussant de généreuses volutes bleutées .
Je pense avec gourmandise aux suaves odeurs de pain d'épices qui doivent déjà embaumer ma cuisine ....plus que quelques pas ...